• 40 juridictions contrôlées entre 2007 et 2008
• Des procédures bafouées et des jugements iniques
• L’exécution des décisions à la tête du client!
Une pièce de collection! Rares sont les rapports qui peuvent prétendre à ce titre.
Celui de l’Inspection générale chargée de contrôler les instances judiciaires en fait partie. D’abord ne serait-ce que parce qu’il rend les conclusions d’une inspection qui a ciblé 40 juridictions en 2007 et 2008. Cette unité, dirigée par Driss Idrissi Bichre, «n’a, par ailleurs, jamais communiqué sur son travail», selon un observateur averti. Elle est composée uniquement de présidents de chambres près la Cour suprême.
Depuis novembre 2007, ce sont ainsi 22 tribunaux de première instance, 12 cours d’appel, 5 tribunaux commerciaux, un tribunal administratif de 1er degré qui ont été passés au peigne fin, soit 37% des juridictions nationales. Les centres des juges résidents (180) ne sont pas pris en compte par ces statistiques.
L’Inspection générale relevant du ministère de la Justice a pourtant vu «ses inspecteurs passer de 15 en 2001 à huit actuellement. En six ans, l’effectif a régressé de 46%», selon le rapport dont L’Economiste détient copie. L’on compte aussi une trentaine de fonctionnaires.
Entre 2002 et 2007, les inspections se sont limitées aux contrôles de fonctionnement des instances judiciaires. En revanche, la «priorité a été donnée aux procédures d’investigation et dont le nombre a atteint 450». Les juridictions de droit commun, de la famille, pénale, commerciales… ont été contrôlées.
Une centaine de pages composent ce rapport. Et près du tiers revient sur les irrégularités constatées par les enquêteurs, le reste ce sont des annexes (charte, fiche de contrôle…). En revanche, les noms des magistrats défaillants ne sont pas cités. Les infographies ne sont pas par ailleurs très élaborées et manquent de chiffres. Les auteurs ne semblent visiblement pas habitués à ce genre d’exercice.
Ce rapport intervient à point nommé, au moment où le besoin d’activer la réforme devient plus qu’urgent.
• Des articles mis au placard
Les hauts magistrats de l’Inspection générale se sont d’abord penchés sur les affaires civiles. L’un des premiers constats est l’existence d’irrégularité procédurale, notamment. Les juridictions inspectées en comptabilisent 23. Ainsi, il s’avère que des magistrats ne distinguent pas entre documents de fond et de forme dans un dossier contentieux!
L’article 32 alinéa 2 du Code de procédure civile (CPC) est non appliqué. Celui-ci dispose que «… les pièces dont le demandeur entend éventuellement se servir doivent être annexées à la demande contre récépissé délivré par le secrétaire greffier…». Même traitement pour l’article 62 alinéa 2 du CPC. Une disposition qui est à son tour quasiment ignorée: «…l’expert qui n’accomplit pas sa mission ou refuse de l’accomplir sans motif valable, peut être condamné à rembourser la partie lésée…».
Le rapport relève également que la procédure du curateur -article 39 du CPC- est très mal appliquée. Lorsque le domicile ou la résidence de l’une des parties sont inconnus, le tribunal nomme en principe un curateur. Ce dernier est un agent du greffe qui est chargé de «fournir toutes pièces et renseignements utiles à la défense» de l’une des parties absente du procès. Si cette procédure n’est pas respectée, ce sont les principes du procès équitable qui sont finalement bafoués. Il y a parfois des cas insolites: un jugement d’incompétence est prononcé après des discussions de fond! Juridiquement, toute plainte est soumise du point de vue forme à un contrôle minutieux: qualité du plaignant, intérêt, capacité, compétence matérielle et territoriale. Le juge doit donc, avant de se prononcer, vérifier un à un tous ces éléments. Plus grave encore, les décisions de justice -toujours en droit commun- ne s’appuient sur aucune base légale juridique (loi, doctrine, ou jurisprudence), sont illisibles, pleines de fautes grammaticales...
• Expertise à deux sous
En matière de contentieux - section droit du travail-, la liste est longue: pas d’enquête sur les cas d’accidents de travail, inexistence de PV ou rédigé parfois au-delà des délais… Des plaintes sont acceptées par simple dépôt de requête et non pas sur déclaration du sinistre, conformément à l’article 15 du dahir du 6 février 1963-. L’on constate même que «les rapports d’expertise médicale ne précisent ni la période d’arrêt de travail ni la date de guérison alors que ce sont des éléments essentiels pour prononcer un jugement», note le rapport. L’application du contrôle judiciaire aux procédures de licenciement -article 62 du code du travail- est inexistante.
• Juridictions et anarchie
Les juridictions spécialisées en droit de la famille sont épinglées également. Depuis leur création, «l’Inspection générale en a contrôlé plus de 92%».
Des registres très mal tenus: les dates d’inscription des attestations (et qui sont versées au dossier) ne sont pas mentionnées… Les juges recourent rarement aux procédures de réconciliation avant de prononcer le divorce. Dans des jugements de reconnaissance de mariage, les magistrats ne motivent que rarement le cas de force majeure, par exemple. Ce qui laisse la porte ouverte à des abus de procédure: mariage de mineur… Ce constat est valable même pour les cas de mariage polygamique. Les décisions de justice ne mentionnent pas le motif objectif et exceptionnel ayant permis leurs validations.
• Des jugements d’humeur
Les irrégularités relevées dans des affaires pénales donnent froid dans le dos.
L’Inspection générale a contrôlé les services du parquet, du juge d’instruction et les chambres criminelles… Elle a constaté un recours abusif aux mandats d’amener et de comparution par les juges d’instruction. De plus, les procédures de médiation sont quasiment négligées. Le parquet renvoie des dossiers à l’instruction même lorsque la loi ne le prévoit pas. L’on relève aussi une «application irrationnelle» de la garde à vue. Souvent les juges ne prennent pas l’avis du procureur pour prolonger ou pas une détention provisoire. L’article 385 du code de procédure pénale n’est pas respecté. Il protège les droits de la défense: informer l’inculpé qu’il a le droit de demander un délai pour préparer sa défense.
Pire, des jugements censés êtres prononcés par une instance collégiale ne le sont pas du tout. Cette réalité est révélée par les PV d’audience! Des condamnés ne profitent pas aussi des circonstances atténuantes auxquelles ils ont pourtant droit. Le comble c’est que les jugements privatifs de liberté «ne sont pas motivés». Aucune référence à un texte de loi ni jurisprudence.
• Exécute-moi, si tu peux!
Lorsqu’il s’agit de l’exécution des jugements, c’est une autre paire de manches. Son application est difficile particulièrement dans le milieu rural. Les huissiers de justice, chargés de le faire, ne sont pas contrôlés. Sont pointés du doigt également, retard et difficulté dans l’exécution des jugements à l’encontre des administrations et établissements publics. Certains services d’exécution des jugements vont jusqu’à causer des pertes à la Trésorerie générale de l’Etat: «Ces fonctionnaires ne collectent pas les amendes. Et qui, rappelons-le, bénéficient également de la prescription légale», indique le rapport. Le document de l’Inspection générale révèle même qu’un «magistrat n’a pas communiqué une décision de mise en liberté… la personne concernée est restée évidemment en prison».
• Des procédures boiteuses
Les irrégularités de procédures sont fréquentes dans les tribunaux de commerce inspectés. Celles appliquées pour «les entreprises en difficultés ne se font pas dans la célérité». Alors qu’il s’agit ici de cas d’urgence: la société risque tout simplement de s’éteindre. La lenteur procédurale est due à sa complexité, à sa mauvaise application par les juges et les syndics et au nombre élevé des intervenants.
Le rapport de l’Inspection générale relève aussi que «des hommes d’affaires de mauvaise foi font recours à la procédure d’entreprise en difficulté». L’Inspection générale propose l’activation de la procédure de règlement amiable par les présidents des tribunaux de commerce -article 548 du code de commerce-.
La majorité des juridictions fait état de lenteur dans l’apurement des affaires. Parfois, «la durée de traitement des dossiers dépasse les deux ans».
• 64 enquêtes sur 248 menées
Dans le cadre des inspections des cas particuliers ou pré-disciplinaires, le rapport indique que 248 ordres d’enquêtes concernent soit des magistrats ou des fonctionnaires du ministère de la Justice. Malgré «le nombre réduit de nos équipes», qui compte 8 inspecteurs notamment, 64 enquêtes ont été diligentées. Chacune d’elles a eu droit à un rapport». Ce travail «exige des investigations auprès des banques et des administrations, des auditions, des confrontations…».
Faiçal FAQUIHI (leconomiste)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire