Ce billet dresse un bilan de l’application de la loi relative à la VEFA par les tribunaux du royaume et aussi par les promoteurs immobiliers.
A titre de rappel, l’objectif de la promulgation de la loi n° 44-00 était d’encadrer les transactions et les contrats liés aux ventes des immeubles en état futur d’achèvement avec une «sécurité» juridique capable de dépasser les limites d’un compromis de vente ou d’un contrat de réservation. Pour cela le législateur marocain a instauré un système qui impose plusieurs règles à respecter, toutefois, en pratique la quasi-totalité des promoteurs proposent à leurs clients un contrat de réservation sous seing privé sans valeur juridique, or l’article 618-3 de la loi n° 44-00 dispose que « La vente d’immeuble en l’état futur d’achèvement fait l’objet d’un contrat préliminaire qui devant conclu, sous peine de nullité»
A rappeler aussi que le contrat préliminaire est impératif, ce contrat ne peut être conclu sous peine de nullité qu’après l’achèvement des fondations au niveau du rez-de-chaussée (*). Toutefois, beaucoup de promoteurs immobiliers imposent à leurs clients un compromis de vente ou un contrat de réservation avant même que les fondations surgissent du sol.
Le pire, c’est que ces promoteurs ne donnent pas de vraies garanties, car au cas ou l’immeuble objet du contrat n’a pas été livré au bon moment, le client n’aura malheureusement qu’attendre avec une petite indemnité en guise de sanctions pour le promoteur indélicat sinon, il aura à entamer les procédures judiciaires qui aboutissent à deux situations :
1- Une procédure de perfectionnement de la vente pour contraindre le promoteur immobilier à compléter la vente;
2- La résiliation avec des indemnités très faibles.
Une mauvaise application de la loi n° 44-00 par les tribunaux du royaume :
Pour ce qui concerne les décisions rendues par les tribunaux, ceux-ci montrent bien la fiction de la protection juridique quant aux abus et dysfonctionnements de plusieurs promoteurs immobiliers.
Dans les circonstances d’une affaire qui a été saisie par le tribunal d’El Jadida, dans le dossier 1/203/12 , un couple Anglais a conclu une vente avec une grande société immobilière de la place avec l’intention d’acquérir une villa huppée au bord de la mer au prix de 9.645.000 dirhams. Dans ce dossier le couple Anglais a signé un compromis de vente sous seing privé, se pliant uniquement à la volonté du promoteur immobilier et ce, moyennant une partie du prix, puis ils ont signé en deuxième lieu, le contrat préliminaire moyennant un autre versement. A cette étape, les sommes qui ont été versées par le couple Anglais ont dépassé la moitié du montant totale de la vente. Malgré tout cela la société immobilière était incapable de livrer la villa à la date convenue et elle a même été contrainte de constituer au profit des acquéreurs une caution bancaire conformément à l’article 618-9 sur insistance de notre couple.
Dans ces circonstance, il s’est avéré que le tribunal trouve la position de la société immobilière justifiée à la lumière des preuves présentées par son avocat, le compromis de vente conclu et les sommes qui on été versées ne confèrent au couple anglais qu’un droit de créance envers la société immobilière et ne leur donnent pas le droit pour bénéficier des garanties de la loi n° 44-00. Pourquoi ? Pour la simple raison que l’avocat de la société immobilière a soutenu sa défense par deux articles ( 618-8 de la loi n° 44-00, et l’article 306 DOC). Ainsi, les versements faites par le couple anglais avant la conclusion du contrat préliminaire, sont nuls conformément à l’article 618-8 qui est dressé comme suit :
«Est considérée comme nulle et non avenue, toute demande ou acceptation d'un versement de quelque nature que ce soit, avant la signature du contrat préliminaire de vente».
Par conséquent l’article 306 du dahir des obligations et contrat qui dispose que :
«L'obligation nulle de plein droit ne peut produire aucun effet, sauf la répétition de ce qui a été payé indûment en exécution de cette obligation.
L'obligation est nulle de plein droit.
1° Lorsqu'elle manque d'une des conditions substantielles de sa formation ;
2° Lorsque la loi en édicté la nullité dans un cas déterminé»
La mauvaise application de la loi n° 44-00 ne concerne pas seulement le tribunal d’El jadida, car cette orientation a été suivie par d’autres tribunaux, l’exemple du tribunal de Casablanca dans une autre affaire montre clairement la mauvaise application de l’esprit de la loi 44.00. Dans ce dossier qui porte le numéro 3522-21-2012, la demanderesse est une société immobilière qui a poursuivi son client pour le défaut de paiement du deuxième versement, la société a sollicité la résiliation et une indemnisation. J’attire ici votre attention que la société immobilière avait conclu avec son client un compromis de vente sous seing privé pour la vente d’un immeuble en état future d’achèvement.
Quant au client (le défendeur) a déposé le montant correspondant au 2ème versement chez un notaire, et pour cause d’honorer son obligation devant la société immobilière qui n’a pas respecté la description de l’immeuble, contenue dans le compromis de vente, pour cela il a sollicité le perfectionnement de la vente du tribunal.
Ce qui est alarmant dans la décision du tribunal de Casablanca, c’est que cette instance a déclaré spontanément la nullité du compromis de vente sous prétexte que ledit contrat ne respecte pas les conditions substantielles de sa formation imposées par la loi 44-00. Le tribunal s’est appuyé sur l’article 307 D.O.C pour rejeter la demande de résiliation sollicitée par la société immobilière sous prétexte que la demande s’est basée sur un contrat nul (compromis de vente). Parallèlement à cette décision, le tribunal a rejeté la demande du défendeur (client) qui a sollicité le perfectionnement de la vente selon les conditions du contrat conclu avec la société.
De tout ce qui précède, on comprend que les versements faits par un client à un promoteur immobilier dans le cadre d’un compromis de vente sous seing privé ou dans le cadre d’un contrat de réservation ne donnent au client qu’un droit de restituer ce qui a été payé par lui au promoteur immobilier.
Quelle conséquence pourrait avoir cette orientation ?
Cette orientation encouragerait certainement les promoteurs immobiliers indélicats à faire des manœuvres pour pousser leurs clients à signer un compromis de vente ou contrat de réservation sous seing privé. Cette manœuvre protégera le promoteur même s’il ne livre pas l’immeuble au délai convenu. Ainsi, le tribunal qui saisira dans l’affaire en litige va déclarer la nullité du compromis de vente et des versements conformément aux article 618-3 et 618-8 du DOC et la restitutions des sommes perçues conformément à l’article 306 du même loi. C’est très grave !
En guise de conclusion :
Certes, le législateur n’a pas commis d’erreur en insérant la disposition qui rend nul les actes conclu en dehors du contrat préliminaire prévu par la loi n° 44-00, car tout simplement son intention était de conférer une meilleure protection juridique aux consommateurs par l’établissement d’un contrat préliminaire dressé par des professionnels de droit (notaire, adoul..).
La question qui se pose ici, en relation avec la mauvaise application de loi n° 44-00 est pourquoi le tribunal d’el Jadida et celui de Casablanca n’ont pas appliqué les dispositions relatives à l’enrichissement sans cause qui consistent, pour le client, à être remboursée par celui qui s'est enrichi à son détriment ?
Si le législateur a choisi de baptiser cette loi relative à la vente d’immeuble sur plan par: La vente en l’état future d’achèvement, c’est que son intention s’est dirigée vers une qualification juridique à donner à l’ensemble des contrats dont l’objet est la vente d’un immeuble sur plan. Ainsi, si le promoteur immobilier a choisi à son contrat un autre intitulé, soit contrat de réservation ou autre ,cela ne doit avoir que les effets que produise la loi n°44-00
(*) Dans le texte du nouveau projet, il est stipulé la possibilité de conclure le contrat préliminaire de vente d'immeubles en état futur d'achèvement après obtention du permis de construire.
RM /Blog de Droit Marocain
24 Janvier 2013
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